Le 30 juillet 2015, Jacques Toubon, Le Défenseur Des Droits, a reçu Fabien Golfier, Secrétaire National de la FA-FPT à l'occasion d'un entretien. A cette occasion ils ont abordé la relation du Défenseur Des Droits avec les agents publics et plus particulièrement les policiers municipaux. Retrouvez l'intégralité de cet entretien ci-dessous.
Fabien Golfier (Secrétaire National de la FA-FPT): Monsieur Toubon, tout d'abord merci de me recevoir à l'occasion de cet entretien. Celui-ci sera partiellement repris dans le magazine l'Echo de la FA-FPT et dans son intégralité sur les sites et pages internet de la FA-FPT.
Vous est-il possible d'expliquer en quelques mots qui est le Défenseur Des Droits (DDD), quelle est son action en direction des agents de la Fonction Publique (FP) et plus précisément pour ceux de la Fonction Publique Territoriale (FPT), ainsi que la relation qu'il entend avoir avec eux. Je vous propose ensuite d'orienter votre propos vers les policiers municipaux.
Jacques Toubon (Défenseur Des Droits) : Le DDD, naturellement, défend les droits de l'ensemble de la population qui se trouve sur notre territoire, y compris aussi ceux de certains français de l'étranger et bien entendu les fonctionnaires. De tous corps et de toutes catégories.
Ce que nous nous interdisons de faire, parce que la Loi ne nous le permet pas, c'est de nous ingérer, en quelque sorte, dans les rapports hiérarchiques. Nous ne sommes pas là pour juger des ordres qui sont donnés, de la manière dont ils sont appliqués dans la FP. Mais en revanche, par exemple, nous nous occupons de questions qui sont aujourd'hui fréquentent tel que les harcèlements, les discriminations. C'est-à-dire, un fonctionnaire qui se trouve avoir été désavantagé, discriminé ou qui a fait l'objet de harcèlement dans la FP, comme dans le secteur privé, nous nous en occupons.
Le Défenseur est par ailleurs, pour les policiers municipaux en charge d'un sujet extrêmement important pour les citoyens, c'est ce que l'on appelle la déontologie de la sécurité, c'est à dire le contrôle du comportement professionnel des policiers municipaux comme des policiers nationaux ou des gendarmes. Et Vous savez que les deux règles de base de la déontologie c'est « nécessité » et « proportionnalité » cela s'applique aux policiers municipaux comme à tous les autres d'ailleurs.
FG : En effet, j'allais vous inviter à y venir en me rapprochant un petit peu du sujet objet de cet entretien c'est-à-dire les policiers municipaux. Ils sont des agents territoriaux qui appartiennent à la FPT qui méconnaissent, comme beaucoup de français, le rôle du DDD. Ce constat appel pour nous plusieurs questions. Quelle relation particulière ou privilégiée existe ou se devrait d'exister entre les policiers municipaux et le DDD ? Le DDD peut être saisi par une personne qui constate qu'un représentant de l'ordre public, vous y faisiez allusion, n'a pas respecté les règles bonne conduite. En quel cas, un agent de la FPT et plus particulièrement le policier municipal peut-il saisir le DDD ? Pour mémoire Madame Mothes, qui était l'une des adjointes de Dominique Baudis (N.d.A. Premier DDD de 2011 à 2014), lors de la réunion de la Commission Consultative des Polices Municipales (CCPM) du 13 février 2014 avait souhaité que dans le code de déontologie des policiers municipaux le DDD soit mentionné comme contrôleur externe des PM, la rédaction de la dernière version du code de déontologie des PM mentionne l'obligation de prêter concours au DDD en cas de vérification demandées par celui-ci, est-ce suffisant à votre avis ? Quelle action envisage le DDD pour mieux faire connaître son action auprès des agents publics et notamment des policiers municipaux ?
JT : Je répondrai d'abord à la dernière question. J'ai conclu une convention avec le CNFPT notamment pour tout ce qui concerne la formation. Je pense que sur la base de cette convention globale nous allons développer notre action, bien entendu à l'égard d'un certain nombre d'agents de la FPT avec qui nous sommes plus particulièrement en rapport, comme par exemple ceux qui travaillent dans les services sociaux, les services de solidarité, tous ceux qui s'occupent de l'enfance dans les départements. Mais aussi bien entendu plus spécifiquement avec les policiers municipaux. Donc je dirais que notre idée est qu'à travers le CNFPT nous puissions agir d'avantage.
Je reviens à la première question. Bien entendu nous pouvons être saisis par n'importe quelle personne qui considère qu'un policier municipal a manqué à la déontologie. A ce moment-là, nous appliquons au policier municipal exactement les mêmes procédures que pour tout le monde. Nous faisons une instruction. Une instruction contradictoire et nous concluons à la fin de cette instruction qu'il a eu manquement ou qu'il n'y a pas eu manquement. Si jamais nous concluons qu'il y a eu manquement, ce qu'en général nous faisons, nous demandons à l'autorité territoriale, en l'occurrence le Maire, nous lui demandons de prendre une sanction disciplinaire contre cette personne, pour telle ou telle raison.
Mais il faut bien voir quelles sont les, la proportion des choses, aujourd'hui nous avons à peu près 700 dossiers qui nous ont été adressés concernant la déontologie de la sécurité. Nous en avons, en 2014, traité environ 550. Sur ces 550 moins de 5% concernaient les PM et sur ces 5% il y a eu en réalité très peu de démonstrations de manquements. Je dirais donc, que notre contrôle est sérieux mais qu'il n'aboutit pas du tout à mettre en cause, contrairement à ce que certains auraient pu craindre, de manière systématique l'agent de la sécurité qu'il soit policier national, gendarme, gardien de prison ou policier municipal. Les statistiques le démontrent très bien.
Cela m'amène à votre troisième question, je crois que c'est une bonne idée de développer des liens, d'inclure cette formule de contrôleur externe car effectivement nous nous trouvons en face d'une situation, comme vous l'avez très bien dit, particulière, entre le policier municipal et une autorité, institution de la République et de l'Etat comme le Défenseur, il y a en quelque sorte un filtre qui est l'autorité politique élue, puisque vous êtes des employés municipaux et que vos patrons sont des élus. C'est donc une situation qui est particulière par rapport à celle des autres fonctionnaires de sécurité, qui eux dépendent directement de l'État, comme nous même sommes une institution de l'État. Je pense qu'effectivement la formule qui consiste à dire que la PM doit, les PM doivent répondre au DDD comme tout autre n'est peut-être pas suffisante et je suis assez d'accord pour essayer de travailler sur cette idée du DDD contrôleur externe de la, des PM.
FG : Nous avons fait le tour des questions. Mais la relation particulière ou privilégiée qui devrait exister, le serait en termes de contrôle et de ressource, n'est-ce pas ambivalent ?
JT : En fait l'une des relations que nous devons développer davantage, c'est la relation en matière de formation. Nous avons déjà une action assez forte en matière de formation pour les PM des départements de la Petite Couronne de l'Ile de France, mais je crois qu'il faudrait justement, à travers le CNFPT, que nous développions davantage ces formations. Je pense que l'on voit bien que le besoin est très grand. Je viens de lire un arrêté ministériel qui date d'il ya quelques jours, je crois du 16 juillet (N.d.A. Arrêté du 16 juillet 2015 portant modification de l'arrêté du 3 août 2007 relatif aux formations à l'armement des agents de police municipale et au certificat de moniteur de police municipale en maniement des armes), et qui est un arrêté qui allonge la durée de formation des policiers municipaux pour l'utilisation justement des armes de force intermédiaire et qui en gros double le nombre d'heures qu'ils doivent consacrer à cette formation. C'est naturellement tout à fait la bonne direction, c'est ça qu'il faut arriver à faire. Je sais que cela pose des problèmes budgétaires, je sais que cela pose aussi des problèmes de disponibilité bien entendu. Mais le DDD, en ce qui concerne toutes ces questions et en particulier l'usage des armes de force intermédiaire pense que l'une des voies à suivre en priorité, c'est l'accroissement, l'amélioration de la formation. Je vois que cela va dans ce sens, donc dans toute la mesure ou nous le pourrons, je suis favorable à ce que, avec la CCPM et par exemple l'Association des Maires de France (AMF), avec qui nous sommes partenaires, nous puissions développer ces formations.
FG : D'autant que jusqu'à présent le DDD n'apparait pas officiellement comme membre de la CCPM. Madame Mothes avait été invité à représenter Monsieur Baudis pour assister pour la première fois à une CCPM organisée par le Ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls. C'était une première qui a eu tout son intérêt et qui lui a permis de découvrir le mode de fonctionnement de cette commission. Celle-ci a vocation à porter demain de nouvelles propositions notamment en matière d'organisation.
JT : La CCPM exerce une sorte de pilotage national pour des forces qui par définition relèvent de la dispersion territoriale.
FG : Oui, environ 4000 Polices Municipales rapportées à 40 000 communes effectivement nous sommes assez dispersés. Néanmoins on tend à homogénéiser un certain nombre de choses et la formation est certainement l'une des formes d'homogénéisation les plus aboutis, notamment en ce qui concerne les référentiels. C'est l'un des sujets que nous avions abordé lors de notre précédente rencontre. C'est référentiel sont les mêmes sur tout le territoire.
JT : C'est l'idée d'une homogénéité des référentiels métiers pour les PM, comme dans d'autres professions.
FG : Je souhaiterai revenir sur deux points. Le premier concerne la présence des policiers municipaux dans les dossiers traités par DDD. Avant 2011, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS), qui l'a précédé, traitait les dossiers concernant la déontologie de la sécurité et chaque année elle publiait son rapport. Les policiers municipaux n'étaient pas très souvent présents dans ses rapports. Ils y apparaissaient rarement, le plus souvent associés à des gendarmes ou des policiers nationaux lors d'interventions communes. En 2011 avec la création du DDD vous avez récupéré tous les dossiers en cours et vous pris en charges ceux qui se sont présentés à vous depuis. Vous venez de me dire qu'effectivement très peu de policiers municipaux y apparaissaient…
JT : En gros moins de 5%
FG : Si l'on veut dégager une tendance : 20 000 policiers municipaux comparativement à 144 000 policiers nationaux, à 140 000 gendarmes (100 000 militaires et 40 000 réservistes). Par contre dès que nous sommes présents dans une collectivité, nous sommes souvent beaucoup plus présents sur le terrain que ne le sont nos collègues de l'État. Pour des raisons que l'on va qualifier d'opérationnelle.
JT : Vous assurez un rôle de proximité que la PN et la GN, qui concentre ses brigades, ont de plus en plus de mal à assurer.
FG : Beaucoup plus de mal, la judiciarisation des procédures, entre autre, y participe pour beaucoup. Il n'est pas question de les stigmatiser dans notre propos.
JT : Je disais que beaucoup de policiers et beaucoup de gendarmes, passent malheureusement trop de temps dans leurs bureaux et pas assez de temps dans la rue ou sur le terrain.
FG : Nous y sommes nous même sensible dans l'état actuelle de nos pratiques. Ma question va plutôt dans le sens ou par rapport à ce taux de présence quand même plus important, là ou nous sommes présents, en relation à ce nombre d'agents plus faible, si l'on considère qu'il y a quand même 36 000 collectivités qui n'ont pas de PM, nous n'apparaissons que très peu dans vos dossiers. La question qui m'avait été posée par votre prédécesseur, Dominique Baudis qui s'interrogeait à ce sujet, était : « Qu'elles étaient les raisons qui pouvaient expliquer cette faible représentativité des policiers municipaux dans vos statistiques ? ». Est-ce que vous avez pu obtenir depuis une analyse des raisons, des causes de cette faible présence malgré cette importante activité ? Nous avons bien une interprétation qui nous est propre, c'est-à-dire que la professionnalisation a certainement participée à cette faible représentation ou est-ce que cela relève aussi du fait de la méconnaissance de la relation qu'il peut y avoir entre le DDD, le policier municipal et le citoyen ?
JT : Très franchement, je n'ai pas d'étude qui me permette de répondre à cette question, mais je pourrais donner deux impressions. La première impression c'est que, vous venez de le dire, il y a incontestablement avec le renforcement des polices municipales une professionnalisation qui est intervenue, c'est tout à fait clair. Bien ! Je ne suis pas sur que la formation en matière de déontologie soit suffisante, je l'ai dit tout à l'heure, mais je pense qu'elle s'est améliorée.
Puis il y a ce deuxième élément dans votre analyse, je pense que pour beaucoup de citoyens l'idée que face au comportement d'un policier municipal qui ne parait pas adapté, il est possible de saisir une instance comme le DDD, est une idée qui est très éloignée de l'esprit de la plus grande majorité des gens. Je pense que tout naturellement sur cette question que j'ai déjà eu l'occasion de traiter au travers de la convention avec le CNFPT, mais que nous devons traiter de manière plus global, il faut que le DDD comble le déficit de notoriété qui est le sien, en particulier à l'égard des citoyens lambdas dans leurs activités quotidiennes. C'est le cas lorsque d'une manière ou d'une autre ils sont confrontés à un policier municipal dans la rue de leur ville, cela fait vraiment parti de la vie quotidienne et beaucoup je pense ne sont pas, ne pensent pas, que le DDD puissent éventuellement s'en occuper.
Mais cette communication, encore une fois, elle passe par la FPT, par les PM elles-mêmes. C'est pour cela que je suis content de m'exprimer dans votre journal, parce que je crois que l'intérêt des PM, comme de toutes les autres forces de sécurité, c'est de démontrer à la population que, chargées d'appliquer la Loi, elles sont aussi soumises à la Loi et en particulier aux règles de déontologie.
FG : Cela m'amène à vous poser une autre question que j'avais préparé et qui est en droite ligne avec ce que vous venez de dire, je reviendrai après sur un point que vous avez évoqué lors de la précédente partie de notre entretien. A l'heure actuelle les agents des forces de polices étatiques et municipales sont confrontés à des actions de plus en plus violentes à leur encontre, notamment lors des dernières fêtes du 14 juillet. Les moyens dont ils disposent sont souvent sous-dimensionnés ou inadaptés aux situations rencontrées. Ces agents qui ont, comme tout un chacun, le droit de rentrer chez eux en bonne santé après leur journée de travail, voient que leurs actions professionnelles sont analysées et peuvent faire l'objet de la saisine du DDD. Bien souvent la question de la proportionnalité des moyens de réponses utilisés est évoquée notamment au regard de la légitime défense. Face à eux et souvent dans des contextes difficiles, ces policiers ont souvent le sentiment que leurs droits à eux ne sont pas défendus. Certes il y a des cas avérés d'utilisation de la force mal-adaptée. Mais bien souvent et vous l'avez dit vous-même, ce n'est pas le cas et les proportions restent très raisonnables, cela est rassurant. Quel est votre avis face à ce sentiment d'abandon ressenti par les forces de l'ordre ?
JT : Vous savez que de manière générale, je réponds déjà à cette question là, que de manière générale 91% des réclamations qui sont portées à la connaissance du DDD contre les forces de sécurité de manière générale se terminent par une constatation, une décision, de non manquement. Il n'y a que dans 9% des cas que nous constatons un manquement. Ce qui montre bien que le DDD n'est pas, je dirais, un chasseur de policiers, bien au contraire, bien au contraire.
FG : Vous comprenez bien par contre cette espèce de sentiment d'abandon que ressentent souvent les forces de l'ordre ?
JT : Oui.
FG : C'est intéressant ce que vous me dites là, par ce qu'effectivement il y a cette action à charge et à décharge. Il est toujours bien sur possible de faire mieux que 9%, on peu toujours baisser.
JT : Dans 91% des cas, encore une fois, nous disons que la réclamation qui a été présentée n'est pas fondée et donc que le policier à raison.
FG : Néanmoins le sentiment des policiers est cette forme d'abandon du droit, que cette défense des droits ne va pas dans leur sens, ne s'adresse pas à eux.
JT : Je pense que justement il faut être clair, le droit c'est ce qui garanti les droits des citoyens qui ont à faire avec la Police, mais c'est aussi ce qui garanti les droits des policiers. Car les policiers ont à la fois sur le plan professionnel et sur le plan personnel, comme tout autre personne un certain nombre de droits et notamment un droit qui est essentiel, c'est le droit à voir protéger leur intégrité physique, d'où d'ailleurs le fait qu'ils sont autorisés à utiliser un certain nombre de moyens. Le plus simple c'est une matraque (voir les mains nues) jusqu'aux moyens les plus perfectionnés, les plus violents et jusqu'aux armes à feu, alors que l'on parle de plus en plus de l'armement des PM.
Et notre souci, c'est de dire, comment assurer en droit, l'équilibre entre le droit de protéger l'intégrité des forces de sécurité et le droit à la vie et à l'intégrité physique de toute personne qui est confrontée avec les forces de sécurité et qui est confrontée, il ne faut jamais l'oublier avec les forces de sécurité dans une position qui est asymétrique. C'est-à-dire que par définition le policier ou le gendarme dispose de la force de la Loi et d'autre part il dispose éventuellement de force physique ou matérielle par rapport à celui qui est la personne, le citoyen, qui lui est dépourvu de cela. C'est pour ça que le citoyen qui trouve, qui considère que le policier ou le gendarme à mal agit, va demander à ce que le DDD mette en œuvre la force de la Loi à son profit. Mais quand il le demande, quand il nous porte une réclamation ça ne veut pas dire du tout qu'il va avoir raison, systématiquement, puisqu'encore une fois dans 91% des cas nous considérons que la réclamation n'est pas justifiée et que donc le policier ou le gendarme a agit dans le cadre de la Loi et la déontologie fait partie du cadre légal.
FG : Je reviens juste sur un point le citoyen lambda qui peut se retrouver dans une situation ou il estime avoir été lésé par le comportement du policier nous pouvons très bien le comprendre. Par contre nous avons toujours le cas de ces interventions ou les contextes sont un peu compliqués, ne serait-ce que par rapport à la connaissance des lieux d'intervention, aux moyens qui sont engagés. Il est vrai que même si un certain nombre de forces de l'ordre, en tout cas d'agents dépositaires de l'autorité publique, ont des moyens adaptés d'autres n'en sont pas dotés, sont en tout cas mal adapté ou sous dimensionnés. Il est évident que parfois les réactions qui peuvent avoir lieu sur le terrain ont du mal à être expliquée à postériori, sorties de leur contexte, sortie des éléments viennent parasiter l'intervention, parasiter la réaction. C'est toujours cette dimension là que les policiers ont du mal à expliciter, à faire comprendre pour pouvoir justifier de leurs actions à un instant T. Sachant que dans le même temps si l'on sort du contexte de l'intervention et que l'on décortique purement en droit l'action, la réaction. Effectivement, celle-ci peut sembler mal adaptée ou disproportionnée, en tout cas ne pas répondre aux attentes auxquelles la Loi nous astreint. C'est surtout dans ces conditions là, que justement les policiers se trouvent souvent assez démunis et ne sentent pas soutenu. C'est dans ces cas, que le DDD, pour ceux qui maitrisent peu son rôle, est considéré comme étant à charge pour les acteurs de la sécurité publique. C'est donc en grande partie l'objet de notre entretien d'aujourd'hui, expliciter un petit peu mieux son rôle.
JT : Le Défenseur et là je ne parle pas seulement de déontologie, de manière générale, n'est pas une ONG (N.d.A. Organisation Non Gouvernementale), il n'est pas une association de défense, il est une institution de la République dans le cadre de la Constitution. Et le DDD quand il reçoit une réclamation, pour lui la personne qui le saisi n'a ni tort, ni raison. C'est l'instruction de cette réclamation qui démontrera au bout du compte, analyse des faits, analyse juridique, conclusions à en tirer, qui démontrera si la réclamation de la personne est justifiée ou pas.
Par exemple dans un tout autre domaine, une personne qui nous dit : « Ma retraite n'a pas été liquidée, ou elle n'a pas été liquidée à un bon niveau par la caisse de retraite de telle ou telle région ». Bien au bout d'un certain temps, nous lui dirons oui vous avez raison, vous devriez toucher, je ne sais pas, 500€ de plus par mois. Nous allons dire à la caisse de retraite, vous avez tort vous devez payer 500€ de plus et en général nous avons satisfaction. Mais nous pouvons très bien dire à cette personne, non la réponse qui vous a été faite par la caisse de retraite et son calcul est juste, donc nous ne pouvons pas soutenir votre demande. Il faut bien comprendre que le Défenseur est dans une position au départ totalement d'expectative, il instruit ce qu'on vient lui demander et au bout du compte, et encore une fois dans 91% des cas, en ce qui concerne la déontologie de la sécurité, il conclut que la réclamation qui lui a été présentée n'était pas justifiée, puisque dans 91% des cas il n'y a pas de manquement à la déontologie. Mais il est certain que ce que vous avez dit, devant les formes de plus en plus violentes de rassemblements, etc., c'est la ou joue à plein ou doivent jouer à plein et c'est ce que nous examinons, les deux principes de nécessité et de proportionnalité, c'est tout à fait clair. Proportionnalité avec la légitime défense, nécessité aussi, quel type d'action faut-il mener ou ne pas mener dans tel ou tel contexte.
FG : Vos derniers propos m'amène à une question que j'avais préparé concernant la décision que vous avez publiée il y a une quinzaine de jours (N.d.A. Décision du DDD MDS 2015-147 du 16 juillet 2015) concernant le Flash-Ball® dans laquelle vous recommandez l'interdiction du Flash-Ball® lors des manifestations et vous demandez un moratoire général sur son usage. En préambule à ma question, parle-t-on bien de Flash-Ball® (la marque) ou de Lanceur de Balle de Défense (LBD) dans un sens plus général, par ce qu'il existe plusieurs modèles dotés de puissances différentes ?
JT : On parle de trois choses. On parle de trois armes qui sont actuellement en dotation dans les forces de Police en France, il y en a d'autres, dans d'autres pays. Premier rapport en 2013 sur les Armes de Force Intermédiaire (AFI), le DDD Dominique Baudis fait un certain nombre de recommandations et notamment des recommandations sur le cadre d'emploi, distance minimum à respecter, contexte dans lequel on emploi ces armes, position que l'on doit adopter, toute une série de recommandations (N.d.A. Rapport du DDD sur trois moyens de force intermédiaire du 28 mai 2013). Ces recommandations, sont des recommandations qui sont quelques fois communes aux différentes armes et d'autres fois distinctes. Le Ministre de l'Intérieur et c'est tout à son honneur, le 2 septembre 2014 fait une instruction qui redéfinie le cadre d'emploi des AFI (N.d.A. Instruction NOR : INTJ1419474J du Ministère de l'Intérieur relative à l'emploi du PIE, des LBD 40 et 44 et de la GMD du 2 septembre 2014). Cette instruction est publiée, ce qui est très important et qui est rare. Souvent les instructions ne sont pas publiées, elle est publiée ! Le travail que nous avons fait et qui a donné lieu à la recommandation du 16 juillet 2015, c'est que nous avons examiné si l'instruction de septembre 2014 était ou pas conforme à notre recommandation de 2013. Pour le faire nous avons examiné les choses arme par arme. Par exemple il y a un endroit ou nous disons un des défauts de l'instruction du 2 septembre 2014 c'est qu'elle continue a donner les mêmes règles d'emploi pour le Flash-Ball® Super-Pro et pour le LBD 40x46 alors que les caractéristiques et la dangerosité de ces deux armes sont très différentes. Nous disons, nous disons donc, que l'instruction de septembre 2014 n'a pas suivi nos recommandations, parce qu'il aurait fallut faire un cadre d'emploi spécifique du Super-Pro et un cadre d'emploi spécifique du LBD 40x46, bien ! J'ajoute en plus que le Taser®, Pistolet à Impulsion Electrique (PIE), qui peut donner lieu soit à un tir, soit à un choc par le contact, réclame un autre cadre d'emploi aussi. Ce qui d'ailleurs dans l'instruction est fait, puisque l'on distingue bien le PIE des deux autres armes qui lancent des balles en caoutchouc. Donc mon instruction, m'a recommandation est très claire, mais c'est vrai que dans cette recommandation il y a une demande qui dit que nous souhaiterions compte tenu de sa dangerosité que les Super-Pro ne soit plus en dotation dans les unités qui font du maintien de l'ordre et de manière générale pendant les opérations de maintien de l'ordre. Comme nous savons que le Ministère, aujourd'hui, étudie des évolutions, nous pensons qu'il faudrait faire un moratoire à ce sujet. C'est ce point qui a naturellement été le plus spectaculaire et le plus médiatisé. Mais il faut bien comprendre et je veux que vos lecteurs comprennent que notre recommandation 1- elle distingue bien les différents type d'arme et que 2- elle porte sur l'ensemble des AFI et elle s'efforce, je prends un exemple : en matière de distance ce que nous reprochons à l'instruction du 2 septembre c'est qu'elle ne donne plus de chiffres, elle dit que a une certaine distance le Super-Pro, trop près, le Super-Pro peut être dangereux, mais elle ne dit pas 7 mètres, elle ne dit pas 10 mètres. Ors nous savons très bien, que ce n'est pas du tout pareil d'utiliser l'arme à 7 mètres, à 8 mètres, à 10 mètres ou a 11 mètres et ce n'est pas du tout pareil bien entendu de l'utiliser dans un contexte ou vous êtes environné par des manifestants, par vos collègues policiers ou gendarmes et dans un contexte ou vous êtes simplement un ou deux en face de deux ou trois personnes.
Donc je veux vraiment bien dire que notre idée, elle est de prendre en compte, tout simplement, ce droit à la vie de chacun, mais de l'autre côté aussi, bien entendu, le droit, comme je l'ai dit, à la protection de l'intégrité des forces de sécurité. Les AFI ont justement cette caractéristique d'être des armes qui ne sont pas létales, donc qui permettent à l'agent des forces de l'ordre d'être en sécurité, mais sans entrainer un danger de mort pour la personne qui est visée. On a bien vu, c'est pour ça que j'ai pris cette disposition que dans certains cas malheureusement les AFI ont été utilisées de telle sorte qu'elles ont entrainées des dommages très graves ou même, même des décès, malheureusement. Donc c'est pour cela que j'ai dit qu'il faut modifier le cadre d'emploi, qu'il faut éliminer l'une de ces AFI qui me parait, par sa technique même, pas de visé, une imprécision formidable du tir, je vise l'épaule et j'atteins l'œil, qui me parait être particulièrement dangereuse. Mais en ce qui concerne, certains m'ont dit, mais vous n'avez pas parlé du LBD 40x46, oui j'ai parlé du LBD 40x46 et en particulier, je dis que le LBD 40x46 qui présente la supériorité d'avoir une visée, un canon rayé, bref de permettre un travail plus précis, je veux que ses conditions d'emploi soient encadrées et encadrées au point que son utilisation soit systématiquement enregistrée par une vidéo. Ce que malheureusement le Ministère de l'Intérieur pour des raisons budgétaires ne veut pas.
FG : J'ai bien lu votre recommandation…
JT : Mais voyez quelle est ma position, qui est une position globale.
FG : Nous, ce qui nous a intéressé c'est plutôt le fait que nombre de Polices municipales utilisent à l'heure actuelle le Flash-Ball® Super-Pro, parce qu'il correspond aux caractéristiques de ce qui est autorisé en type de LBD pour les PM, c'est-à-dire à canon lisse et …
JT : C'est exact.
FG : … que l'utilisation qui en est faite par les policiers municipaux n'entre pas dans le cadre du maintien de l'ordre, qui ne relève pas de nos compétences, mais qui relève surtout de la réaction effectivement à une agression, avec une riposte de moyen intermédiaire. Même si pour ce qui nous concerne nous parlons de létalité réduite, par ce que il n'y a jamais de risque zéro même avec une matraque.
JT : Jamais. Jamais…
FG : Notre référentiel de formation adopte quant à lui des prescriptions en termes de distance de tir. Néanmoins nous avons eu quelques inquiétudes à la lecture des recommandations par ce que parfois il s'agit de la seule arme conséquente (arme collective, un agent en est doté par équipage, il ne s'agit pas d'une arme individuelle) à disposition d'une PM.
JT : Je crois que nous nous n'avons pas de position, c'est ce que je disais tout a l'heure de manière général nous n'avons pas d'apriori, nous ne sommes ni pour ceci, ni contre cela. Nous disons simplement que nous avons un certain nombre de dossiers, même un nombre certain dans lesquels nous avons des blessures graves nous avons même des décès. Est-ce qu'il est concevable que l'on prenne un risque pour la population qui est très important et est-ce qu'il ne conviendrait pas, c'est tout le sens du moratoire, que l'on fasse ce que le Ministère de l'Intérieur est en train de faire, on étudie une arme qui soit susceptible d'avoir des caractéristiques et notamment une visée et des munitions que l'on dit plus courtes. C'est-à-dire une arme qui soit en quelque sorte, je dirais, intermédiaire entre le Flash-Ball® Super Pro et le LBD 40x46. Qui soit donc maniable par tout le monde, contrairement au LBD 40x46 qui n'est employé quand même que de manière lourde et qui puisse être, par exemple, à disposition des polices municipales, mais qui ne présente pas cette dangerosité. Encore une fois la position du Défenseur n'est pas fondée sur l'idée que l'usage de ces armes n'est pas justifié, elle est fondée sur le fait que l'usage de ces armes, tel qu'on le fait actuellement, présente trop de dangers pour ceux qui sont visés. Je reviens donc sur ce que j'ai dit au début, la formation est un point essentiel. Cadre d'emploi, formation.
FG. Je partage tout à fait votre point de vu en ce qui concerne la formation. Je rebondis sur un point technique concernant les policiers municipaux. Nous nous inscrivons dans un contexte de riposte en légitime défense, c'est-à-dire dans du tir riposte. Il est vrai que la visée est moins présente dans le tir riposte, nous n'avons pas ce préalable de choix de cible. Nous avons une cible qui vient vers nous, nous ripostons, nous ne sommes pas dans la visée pure telle qu'employée par nos collègues de l'État.
JT : Je vois très bien ce que vous voulez dire.
FG : Il faudra donc en fonction du matériel, tenir compte de nos besoins.
JT : Vous savez ce qui m'a interpellé dans tout ça, c'est que je ne suis pas seul à dire ça. Puisque l'Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) l'a dit et c'est même les points forts du rapport de l'IGPN pour 2014 (N.d.A. Rapport IGGN – IGPN relatif à l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre du 13 novembre 2014). Deuxièmement, la commission d'enquête sur le maintien de l'ordre et son rapporteur Monsieur Popelin l'ont dit (N.d.A. Rapport fait au nom de la Commission d'Enquête de l'AN chargée d'établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l'ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens du 21 mai 2015). Le Sénat a également pris des positions dans ce sens (N.d.A. Rapport Sénatorial visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations du 12 mai 2015), il est certain si vous voulez que Monsieur Courtois ai pris des positions dans ce sens et il est certain que je crois que c'est un sujet qui doit être mis sur la table, que l'on ne doit pas écarter d'un revers de main et auquel on doit apporter des réponses qui sont adaptées. Vous venez très bien de dire que les conditions d'emplois par les policiers municipaux sont certainement différentes de ce qui se passe pour la PN et encore plus pour les unités de maintien de l'ordre et il faut en tenir compte. Mais c'est, je l'ai dit au Ministre de l'Intérieur en direct, je veux dire entre quatre yeux. Avant que je publie la recommandation, je lui ai annoncé que j'allais faire cette recommandation et je lui ai dit : « Je pense, Bernard, qu'il faut discuter maintenant, mettre en place un groupe de travail, il faut vraiment discuter de cette affaire ». Je pense en particulier que nous pourrions nous, le DDD, avec l'IGPN travailler ensemble et entendre tous les points de vu et ainsi celui des policiers municipaux.
FG : Pour un dossier tel que celui-ci, il est important pour nous de ne pas être oublié !
JT : Le point de vu des industriels, de ceux qui fabriquent ces armes, tous ceux la…
FG : Ils n'attendront pas pour être présent devant la porte (N.d.A. du Ministère de l'Intérieur) ce jour là. Je ne m'inquiète pas pour eux.
Je profite des cinq dernières minutes qu'ils me restent avec vous pour vous poser deux petites questions l'une sur la façon dont vous projetez le rôle du DDD après un an de mandat (N.d.A. Jacques Toubon a été nommé le 17 juillet 2014), il vous en reste cinq, notamment dans sa relation avec les PM et les autres forces de police ? L'autre sur les objectifs à court termes que vous vous êtes fixé vis-à-vis des représentants de l'ordre public?
JT : Je dirais de manière générale que je pense que le DDD ne peut pas être efficace pour remplir son rôle, qui est un rôle de porteur de la Loi, porteur du Droit, de gardien en quelque sorte du droit, il ne peut pas le faire enfermé dans son cabinet et dans ses bureaux, il ne peut le faire qu'en partenariat avec la société civile, avec ceux qui vivent autour de lui et notamment avec ceux naturellement qui sont susceptibles d'être concernés par son travail. Comme par exemple toutes les forces de sécurité. Donc ma perspective elle est de travailler en développent ses partenariats de manière a pouvoir atteindre à la fois un développement de l'accès au droit, y compris en matière de déontologie de la sécurité. Mais en même temps, de le faire avec une relation, qui soit une relation confiante, avec tous ceux qui sont concernés. Je prends un exemple qui n'a rien à voir, il est clair que j'ai beaucoup de soucis pour faire respecter les droits des handicapés. Je ne ferai pas respecter les droits des handicapés contre les professionnels qui s'occupent des handicapés, entre les enseignants entre les travailleurs sociaux, contre les professions paramédicales. Je préfère respecter les droits des handicapés si je avec ces personnes, bien je pense que c'est exactement pareil dans tous les domaines, partenariat.
FG : Cela correspond à notre façon de travailler. Dernier point et là je vais venir sur un aspect purement syndical, nous avons nombre de nos collègues qui rencontrent des difficultés d'exercices de leurs missions syndicales d'une part et d'autre part d'exercices de leurs missions en tant qu'agent de la ville exerçant en parallèle une activité syndicale, tous n'étant pas détachés à plein temps. Je souhaiterai savoir ce que ces difficultés représentent en termes de dossiers pour le DDD.
JT : Nous en avons, nous en avons quelques uns. Notamment un dossier aujourd'hui qui est toujours en cours et qui est celui qui oppose un chef de service d'une Police Municipale dans une assez grande ville d'ailleurs, a certains de ces subordonnés.
Et je dirais, de manière générale, que nous sommes en tant que DDD à l'écoute de tous ceux qui considèrent, qu'ils ont, par exemple, subit une discrimination du fait de leurs activités syndicales. Nous traitons ces réclamations comme celle que nous traitons de manière générale en termes de discrimination ou en matière de harcèlement. Bien entendu je dirais que le DDD est là pour aider le policier municipal comme tout autre citoyen. La déontologie de la sécurité est une partie de notre mission qui s'adresse spécialement aux forces de sécurité, mais par ailleurs le policier municipal est un employé territorial qui jouit des mêmes droits et qui peut s'adresser au DDD pour que ses droits soient mis en œuvre exactement comme pour tout autre employé territoriale ou employé de l'Etat. C'est un domaine auquel j'ai décidé de donner la priorité aujourd'hui, de manière générale les discriminations dans l'emploi, qu'il soit public ou privé, sont encore trop importantes dans notre pays.
FG : Monsieur Toubon je vous remercie.
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